On pouvait lire récemment un article intéressant (Le Devoir, sur un projet de nouvelle gouvernance, on y évoque la création d’une Chambre des Régions dans chacune des régions du Québec. Rappelons qu'une Chambre des Régions existait à Québec jusqu’à la fin des années ‘60. On l’a abolie sous prétexte qu’elle était devenue paralysée parce que trop politisée.
En l’abolissant, on a mis en place le modèle centralisateur québécois de gestion voire d’arraisonnement des régions. Le coup d’envoi fut donné par une initiative fédérale à la même période: commander une étude à trois économistes des environs de Montréal pour définir le modèle de développement des régions du Québec: (Étude Higgins Martin Raynaud HMR1970).
Conclusion de l’étude : Cessez les investissements gouvernementaux dans les régions s’ils ne sont pas rentables pour la métropole et concentrez la richesse à Montréal qui elle « sait faire ».
En d'autres mots, "Mettez tous les oeufs dans le même panier montréalais, la locomotive et les wagons des régions s’y attacheront". (Rappelons que depuis, la mafia et certaines firmes et groupes ont appris à se servir largement dans le dit panier.)
En 2003, deux économistes, Sheamur et Polèse, ont vérifié les effets sur 33 ans de ce modèle mis en place pour favoriser Montréal. L’étude RIP-HMR70 concluait que les effets d’entraînement vers les régions se sont limités à un court périmètre autour de Montréal, pour le reste du Québec, particulièrement les régions éloignées de Montréal, les conséquences se sont avérées plutôt désastreuses (dévitalisation, asservissement, frein à la diversification économique, etc.). Depuis, ce modèle centralisateur est demeuré imprégné dans les actions du Ministère des Transports envers les régions périphériques : procrastination systématique, sous-effectifs, projets simples qui s’éternisent sur des décennies, non respect d’échéanciers pourtant déjà très étendus, projets sans échéanciers, comités visant le discrédit des projets régionaux par utilisation de paramètres centralisateurs etc.
En 1997, le gouvernement du Québec recevait le rapport de la Commission Bédard sur la fiscalité municipale. À titre de président de la Chambre de Commerce de la région Côte Nord, j’ai pu assister à la présentation du rapport par M. Bédard devant la Chambre de Commerce du Québec à Montréal.
Une des recommandations du rapport était de laisser aux régions une juste part des redevances qu’elles généraient pour le gouvernement et ses Sociétés. J’ai alors posé la question : Quel pourcentage? Réponse : 15 à 20 %. On comprend que si cette recommandation avait été suivies, il y a longtemps que la route de la Côte Nord aurait été achevée entre Québec et Blanc Sablon, que des services universitaires dignes de ce nom aurait été mis en place, que les services de santé seraient devenus accessibles etc.
Évidemment le centre s’est opposé à cette recommandation, elle fut tablettée et la Côte Nord a poursuivi le processus de dévitalisation malgré l'accroissement de l'extraction de ses richesses.
Mais qu’est ce que tout ca a à faire avec le pont me direz vous??? J’y viens...
Comment empêcher les projets structurants dans la région Côte Nord?
Dans le dossier du pont on a vu dès la fin des années 70 le Ministère des Transport mettre en place des comités pour discréditer voire contredire les études qui visaient à investir sur des infrastructures régionales essentielles comme par exemple l'étude sur le pont de Tadoussac commandée en 1979 par Lucien Lessard , Ministre des Transports (étude 1979A). La mainmise du centre sur le Ministère des Transports a permis aux fonctionnaires sans expertises de produire l’étude fantoche 1979B (voir la section études du site) qui contredisait carrément les ingénieurs experts qui recommandaient la construction du pont.
Par la suite les études subséquentes faites sur le pont ont été sabotées par les comités de dissuasion de projets régionaux du Ministère.
Au fil des ans, les méthodes de dissuasion de projets sont devenues plus subtiles et plus efficaces.
On a mis au point une grille d’analyse avantage-coût des projets préparée par des économistes montréalais qui visait à rendre irréalisables les projets en région périphérique.
Par exemple, la référence au Ministère des Transports en matière d’analyse avantage-coût est M. Fernand Martin, économiste montréalais et coauteur de l’étude HMR70 citée plus haut.
Le Ministère a donc développé des algorithmes montréalais qui priorisaient le nombre d’individus ou le nombre de véhicules plutôt que l'importance des besoins et le territoire, un mécanisme subtil de spoliation des régionaux au bénéfice du centre. Paradoxalement, cette politique centralisatrice s’est traduite bien sur par l’affaiblissement des régions du Québec mais aussi par l’affaiblissement économique de Montréal. De métropole canadienne, elle est devenue l’ombre d’elle-même sur le plan économique et les investissements se sont déplacés vers Toronto et l’Ouest.
Les individus sont à Montréal et le territoire québécois, ailleurs. Les régions , sans universités ou experts pour les défendre, se sont peu à peu désintégrées, dévitalisées, la démarche se poursuit à ce jour.
Il y a de multiples exemples des techniques utilisées pour saboter les projets structurants dans les régions éloignées. Par exemple, le même économiste montréalais, M. Fernand Martin, est aussi l'expert du Ministère des Transports en matière d'analyse avantage-coût pour établir la valeur d’une vie humaine. Au MTQ, on a considéré, dans l’étude 2009, que pour mesurer les coûts sociaux des accidents et décès survenant sur la route 138 entre la Malbaie et Les Escoumins, aux approches du Saguenay, la vie d’un nord-côtier valait 3,6M$ alors qu’au même moment, on évaluait la vie d’un Saguenéen à 5M$ et ce même si le Produit intérieur brut par habitant est de près du double de celui du Saguenay. Le taux d’actualisation a été aussi utilisé dans les études 1999 et 2009 pour discréditer les projets: 5% pour un pont sur le Côte-Nord, 3.3% pour le pont Champlain à Montréal, on a refusé de mesurer les bénéfices pour la région desservie par le futur pont, prétextant que seuls les villages de Tadoussac et de Baie Ste Catherine seraient impactés. Bref dans le cadre d'une nouvelle analyse avantage-coût, on devrait éviter d'utiliser les paramètres et algorithmes faussés mis en place depuis cinq décennies au Ministère et s'en tenir aux chiffres réels connus.
Les membres du bureau de projet et du bureau de liaison devront être particulièrement attentifs à ce futur analyse avantage coût pour qu’il ne devienne pas encore « un piège à cons » comme il le fut en 1999 et en 2009.
La meilleure analyse avantage coûts pour le pont de Tadoussac devrait être de placer sur deux colonnes les coûts totaux du projet de pont pendant sa vie utile et les coûts totaux du service de traversiers pendant la même période, y compris les frais administratifs et autres. Du côté des traversiers, ces frais sont connus déjà en bonne partie . On sait déjà d’expérience que les évaluations de la Société des Traversiers sont historiquement peu crédibles et donc une évaluation objective par des experts indépendants serait incontournable pour obtenir une évaluation fiable à fournir au Conseil des Ministres. Celui-ci devra bientôt prendre la décision sur la construction du pont, sachant qu’il est fort probable qu’aucun nord-côtier n’y sera présent pour défendre le dossier, il sera impératif que les informations transmises soient objectives et complètes.
Bref! Le Ministère des Transports ne peut pas faire une évaluation objective du projet à partir des algorithmes et paramètres actuels utilisés par ses bureaucrates. Ceux-ci sont intrinsèquement biaisés depuis 50 ans par le modèle centralisateur québécois.
Il faudra utiliser des données brutes et éviter de les passer dans le moule à centraliser. Alors le bon sens prévaudra , il faut construire un pont sur une rivière qui interrompt une route nationale et interprovinciale.
Le monde politique a pris en main le dossier du pont mais ne pourra rien faire si les citoyens ne sont pas vigilants et proactifs lors de la visite de tout politicien provincial dans leur communauté. Il faudra une action citoyenne concertée pour pousser, encourager et exiger que le bon sens prévale et qu’on désenclave enfin la région. Le gros bon sens peut difficilement s’exprimer à partir des politiciens qui sont d’abord occupés à plaire au Ministère des Transports pour obtenir des investissements sur les routes de leur localité avant d’investir sur un projet régional essentiel mais qui ne concerne pas directement leur territoire souvent. Plaire aux électeurs requiert parfois de poser des gestes courageux pour s’intéresser à des enjeux fondamentaux qui ne sont pas pourtant directement d’intérêt local.
Il faut saluer tous ces politiciens qui n’hésitent pas à faire avancer les projets régionaux en s’impliquant personnellement, dans Charlevoix comme sur la Côte Nord. Il ne faut pas que le désir de plaire à ses électeurs locaux fasse perdre de vue un enjeu aussi important que de désenclaver la région à ses deux extrémités. Il faut que certains cessent d'avoir peur de leur ombre, peur de voir des bureaux de fonctionnaires quitter leur localité. Il faut se tenir debout plutôt qu'à plat ventre.
Si les citoyens s’y mettent, s’investissent, poussent, le pont sera achevé en 6 ou 7 ans. Sinon, il retombera aux oubliettes des petits enjeux politiques locaux.
Appuyez vos politiciens et pour certains, encouragez les à insister auprès des provinciaux pour que le projet de pont avance rapidement et bien.